L\'Avenir des Fermes Pilotes en Algérie

L\'Avenir des Fermes Pilotes en Algérie

Adieu veaux, vaches et vignes !

 Mascara : des terres agricoles abandonnées


Ces trois blocs se trouvent dans un rayon de trois kilomètres de part et d'autre de la RN 14, facilement accessibles. Pour le siège de la ferme, il est implanté sur le territoire de la commune de Tighennif, au lieu dit pont de l'oued Maoussa. Il est important de souligner que l'établissement avait pour rôle, durant les années 1980, de garantir en partie les besoins nationaux en plants de vigne, et ce dans le cadre de la production de produits végétaux.

 

Cette modeste unité spécialisée dans ce domaine a vu le jour en 1975 et fut érigée en ferme pilote le 03 avril 1982 dans le cadre du décret 82/19 du 16 janvier 1982 portant création de fermes pilotes et fixant leur statut. Au cours de cette même période, les responsables de la ferme avaient élaboré un plan d'action par la production ou plutôt par l'exploitation qui a rempli son rôle prévalant dans le savoir-faire suivant les techniques de production de plants de vigne et la maîtrise de la gestion. Dans le même cadre, et pour subvenir à ses besoins en greffons (boutures), la pépinière a été dotée d'un parc à greffons de vigne, rassemblant les différentes variétés, à savoir celles de table, de cuve et de séchage, sur une superficie totale de 28,23 hectares.

 

Ce programme de production de semences et de plants a vu deux opérations de mise en place de 1.135.000 boutures pépinières et de 366.900 boutures greffés soudés, avec une première production d'une nouvelle variété, les Apyrènes, introduite dans le pays et dont les aptitudes ont été mises en évidence, soit pour la consommation ou le séchage. On peut remarquer que les superficies mentionnées ci-dessus, c'est-à-dire, de la vigne de table et de séchage, sont nettement insuffisantes par rapport à ce qui se fait dans les autres pays à vocation agricole, y compris les pays voisins. La cause est reste que le parc à bois était conduit à sec, ne profitant que des irrigations occasionnelles lors des crues hivernales de l'oued Maoussa. Cette difficulté, qui n'a jamais été résorbée faute d'autorisation de forage pour la création de nouveaux points d'eau vu l'étendue des parcelles de la pépinière et leur répartition discontinue, a considérablement cassé les conditions de fonctionnement de la ferme, l'agriculture étant un secteur qui dépend grandement des aléas climatiques. 149 hectares de céréales, dont 86, 25 ha de blé tendre de multiplication et 61,65 ha d'orge, ont été exploités dans ce chapitre de réalisation. Ces dernières sont faites à 100 % sauf les plantations en pépinière greffées soudées.


Il est à signaler que la pépinière dispose d'une superficie de champs de pieds de mère (CPM), ou du moins ce qui en reste de ce passé nostalgique qui était évalué à 60 ha, dont 11 en plants certifiés, 13,27 ha en plants standards et 27,33 ha en plants de base dont le rendement a été très médiocre. Pour des raisons propres à la ferme pilote, il a été procédé à l'arrachage sauvage de 27,33 ha de champs de pieds de mères, pour, paraît-il, élaborer un plan 2000, qui n'a d'ailleurs jamais vu le jour.


Le drame que vit cette ferme pilote, à l'instar des autres exploitations agricoles réparties sur le territoire national, est une nouvelle illustration d'une économie sauvage ultralibérale qui étrangle une agriculture productrice. Pourtant, les sols sont localisés dans la riche plaine de Ghriss avec, cependant, deux grandes tendances argilo-calcaires et argilo-sablonneux très fertiles dans les deux cas. Néanmoins, on note certaines contaminations sablo-limoneuses alluvionnaires avec un taux de calcaire total se situant à 6,19 % et un phi de 7,15 % en moyenne. Ces sols présentent un taux de matière organique assez faible et à potentiel nutritif moyennement pourvu en phosphate mais pauvre en azote et en potassium.

 

Pour souvenance, le gouvernement a reconnu à l'époque l'échec des politiques précédentes en soutenant que la nouvelle politique sera une véritable scission avec les démarches de l'Etat providence. Le défi était de mettre fin au gaspillage, surtout des ressources naturelles que sont la terre et l'eau, les deux colonnes de l'activité agricole. L'enjeu de cette politique était de mettre fin à un épilogue de décennies d'agriculture «cobaye». Depuis l'indépendance, les politiques agricoles tout comme que les gouvernements se truffent mais ne se ressemblent pas. Véritable cobaye, cette terre nourricière a vu moult changements dangereux : par sa nationalisation (domaines autogérés), le coup mortel de la révolution agraire qui, loin de bouleverser la donne de l'agriculture, n'a fait que l'enfoncer plus dans la faillite.


Quant au cheptel, on avait importé des bovins à vocation laitière, à raison de plus de 84 têtes dont 40 vaches laitières, et d'autres de races exogènes telles que la Holstein et la Frisonne, des races laitières, mais qui ont été au fil du temps vendus aux enchères pour finir dans les abattoirs.


Quarante six années après l'indépendance de notre beau et très riche pays, des terres maltraitées, abandonnées sont transformées plus ou moins délibérément en décharges sauvages, des zones autrefois actives sont devenues un désert apocalyptique dans cette région profonde de l'Algérie. Les terres fertiles de la ferme pilote de Maoussa sont devenues, par la force des choses, un véritable décor lunaire, à cause d'un processus d'abandon à long terme. Une dégradation avancée ou seuls quelques récalcitrants arbres de pin d'Alep clairsemés se figent, solitaires, noyés dans un amas de curieux toupets de broussailles.

 

Invasive et à prolifération anarchique, la broussaille domine les champs arboricoles, ou du moins ce qui en reste, qui se sont retrouvés dans un état de dégradation avancée. Cependant, les espèces constituant le cortège accompagnateur représente un faciès indicateur de l'identité d'une terre fertile qui a longtemps été harcelée. Et ce n'est pas sans une certaine mélancolie que l'on franchit le seuil de cette commune de Maoussa, toujours en expansion longitudinale. On ne peut s'empêcher, du moins ceux qui ont l'œil vif et le cœur au diapason des splendeurs de la nature, d'avoir des réminiscences de ce que fut ce splendide endroit, situé à seulement quelques encablures du chef-lieu de la wilaya.

 

Toujours est-il que le phénomène des terres abandonnées ou en friche ne relève pas uniquement du domaine public. Des milliers d'hectares sont ainsi recensées chaque année à travers la wilaya, où des litiges entre particuliers, familles ou tribus pour des histoires d'héritage ou de tracés de terrains non titrés bloquent le processus d'intensification de l'agriculture. Pour la majorité des fellahs, l'immatriculation foncière est devenue un parcours du combattant qui dure plusieurs années à cause de lenteurs, de procédures complexes, de perte de dossiers, de dépôt de plusieurs demandes d'immatriculation sur la même terre, créant ainsi des litiges qui conduisent les protagonistes au tribunal. Quelle est la nature de cette crise profonde ? Une crise des débouchés intérieurs et extérieurs tout d'abord où les vrais petits fellahs sont mis a l'écart de la tarte nationale du PNDRA et autres sucreries avenantes du PNDA.


Derrière une profession touchée au cœur par des inégalités agricultrices, même s'il existe des différences d'intensité de la crise selon les régions et les produits, se cachent des hommes, des femmes et des familles qui souffrent et se révoltent à juste titre. Ils aiment leur métier, ils s'accrochent à leurs terres dans la dignité. Ce n'est que lorsqu'ils n'ont plus le choix qu'ils se résignent à solliciter le filet social ou des associations caritatives à dessein politique pour survivre.

 

Manseur Si Mohamed

La Nouvelle République du 19.04.2010

 

 




29/05/2011
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